1 an et 4 mois, c'est le temps qu'il a fallu pour élaborer la plus grande étude sur la population déficiente visuelle menée en France. Spoiler : les problèmes d'accessibilité jalonnent le parcours de vie des 1,7 million de Français concernés.
A quoi ressemble la population déficiente visuelle en France ? Cette question n'avait pas fait l'objet d'un travail fouillé depuis 1999 lors de l'enquête « Handicap, incapacité, dépendance » (HID). En 2020, le Défenseur des droits avait même déploré le manque de données concernant la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, notamment visuel. Impossible, dans ce contexte, d'apporter un accompagnement adapté aux besoins de chacun. Face à ce constat, la première grande étude nationale sur le sujet a été publiée le 7 février 2023. Son nom ? Homère, en référence au poète grec auteur de l'Odyssée d'Ulysse, lui-même aveugle. A en croire ses conclusions, le quotidien de ce public a en effet tout l'air d'un long voyage mouvementé, de l'école, à l'emploi, en passant par le logement, les transports, la culture, le sport...
1,7 millions déficients visuels
Cette enquête, réalisée par l'unité de recherche Développement, individu, processus, handicap, éducation (DIPHE) de l'Université Lumière Lyon 2 et par « Chart-Thim » de l'Université Paris 8, tient en plus de 250 pages (la version complète accessible ne sera disponible en ligne que d'ici quelques jours) ! Ses objectifs ? « Mieux connaître les personnes déficientes visuelles, identifier leurs difficultés, mieux cibler les aides en fonction de leur profil. » 1865 personnes ont répondu à cette enquête participative, menée région par région de février 2021 à juin 2022. Elle associe les personnes concernées mais aussi les chercheurs. « Ce bref aperçu révèle un vécu des personnes déficientes visuelles jusque-là mal connu, quels que soient leur âge et leur territoire, indiquent les auteurs. Il donne des pistes de réflexion sur les améliorations possibles. » Un enjeu majeur puisqu'environ 1,7 million de Français sont atteints d'un trouble de la vision, dont 207 000 aveugles ou malvoyants profonds. Des chiffres qui ne cesseront d'augmenter avec le vieillissement de la population et les maladies qui en découlent (glaucome, DMLA...) puisque la part des personnes âgées de 65 ans et plus sera de 28 % en France d'ici 2050.
Des problèmes d'accessibilité en cascade
Cette recherche, portée par un collectif d'une dizaine d'associations dans le champ du handicap, « impacte directement 1 Français sur 35 ». La déficience visuelle est de naissance pour 33 % de l'échantillon et liée à une maladie, une malformation ou une origine héréditaire pour plus de la moitié des répondants. Enfin, environ un quart des répondants malvoyants sévères et moyens ne connaissent pas la cause de leur handicap. Autre constat, les problèmes d'accessibilité sont vécus « en cascade », depuis l'école jusque dans toutes les sphères du quotidien. On apprend par exemple que la moitié des sondés âgés de 16 à 29 ans, qui sont allés en classe ordinaire, ont le sentiment « d'avoir été plutôt ou tout à fait en échec scolaire » en raison d'un accès insuffisant aux contenus pédagogiques, comme les cartes, les supports vidéo et les photocopies. « La volonté d'inclusion n'est pas accompagnée par suffisamment de moyens (formation des enseignants, supports pédagogiques, etc.) pour permettre une meilleure prise en compte des spécificités de la déficience visuelle », en déduit le collectif.
2 personnes déficientes visuelles sur 5 en emploi
Les obstacles se poursuivent, par manque de moyens adaptés mais aussi d'auto-censure, au moment de l'orientation ou de l'entrée sur le marché du travail. Résultat, deux personnes sur cinq seulement sont en emploi. Un chiffre nettement inférieur à la population handicapée dans son ensemble, et encore plus à la population générale en France. Quand ils accèdent à l'emploi, « une part importante » ne bénéficie pas d'un aménagement qui correspond à ses besoins. Manque d'accessibilité des « logiciels métiers », des bureaux ou des transports pour se rendre au travail sont cités parmi les principaux freins. Le manque de formation et d'information sur leur handicap contribue à renforcer ces difficultés. Ainsi, les personnes qui maîtrisent le braille, les techniques de locomotion, les outils numériques adaptés ont un meilleur niveau d'étude et d'employabilité. En revanche, qui dit déficience sévère ne dit pas forcément plus de difficultés ; en effet, l'étude montre que les personnes moins touchées bénéficient de « moins d'options de compensation » (aides techniques et humaines, dispositifs d'aménagement et d'accompagnement, aides financières…) et ont donc « moins tendance à les demander ».
Hétérogénéité de la déficience visuelle
Le collectif réclame donc de mettre en place des dispositifs à différents niveaux, en tenant compte de l'hétérogénéité de ces profils. Il réclame surtout la création d'un Observatoire de la déficience visuelle qui permettra à tous les acteurs impliqués de « se réunir et de s'enrichir mutuellement afin d'améliorer la situation » mais aussi de mener des recherches et de proposer une analyse prospective pour éclairer les politiques.
Au même moment, Handidonnées publie pour la première fois un site Internet qui offre un panorama des statistiques et des « connaissances structurées entièrement dédiées aux publics en situation de handicap et à l'offre d'accompagnement qui leur est proposée dans les territoires ». De quoi abreuver les politiques publiques en données concrètes...
Lien de l'article : https://informations.handicap.fr/a-homere-grande-etude-deficience-visuelle-34427.php